Etudier à Wuhan, un canard et un cochon nain sur la table
Au tout début du mois de janvier 2020 j'entends la première
fois parler du coronavirus (qu'on ne nommait pas encore). C'est un collègue qui réside dans la province du Hubei qui m'informe sur un
départ d'épidémie possible depuis un marché où
s'achètent des animaux sauvages pour la consommation. Aussitôt je
contacte mes enfants qui étudient depuis deux ans à l'Université
de Wuhan. Ils me répondent qu'ils sont au courant de la
situation depuis la fin décembre. Les
premières rumeurs sur les réseaux sociaux faisaient déjà état
d'une épidémie née de ce marché, et déconseillaient de s'y
rendre.
Nous n'avions pas de raisons particulières de nous inquiéter. Les épidémies de types grippes aviaires sont fréquentes un peu partout dans le monde, peu dangereuses, et le plus souvent transmissibles lorsqu'on est directement en contacts avec les déjections des animaux. La transmission d'homme à homme est plus rare, et dans ce cas elle n'était pas encore avérée, mais la prudence était de mise. Hormis la visite des marchés je déconseillais à mes enfants de continuer à fréquenter les « cafés animaux » où ils avaient l'habitude de se rendre. Dans ces établissements, surfant sur la mode des « bars à chats », des canards et des cochons nains gambadent sur les tables ! Le canardvirus au Starducks café... La zoonose ne semble pas être la préoccupation du moment !
L'année du rat volant
Le
11 janvier, alors que le premier décès d'un malade du Covid-19 est
rendu public, la grande transhumance des vacances du nouvel an
chinois vient de débuter. Trois milliards
de déplacements sont prévus d'ici à la fin des fêtes de
printemps. Nos enfants quittent Wuhan le 13 janvier, mais avant de
rentrer à Yangshuo ils doivent sortir du pays afin de renouveler
leur visa étudiants. Le plus simple et le plus économique est
d'aller en Corée du Sud. Ils y restent une semaine le temps de faire
les démarches. Lors de leur voyage ils ressentent les premiers
frémissements d'une situation qui allait prendre de l'ampleur. A
cette date peu de voyageurs portent des masques mais dans les
aéroports chinois et coréens la température des passagers commence à être contrôlée.
Le
20 janvier, le gouvernement chinois annonce que le virus est
transmissible entre humains et Wuhan est aussitôt placé en
confinement. Le lendemain nos enfants sont de retour en Chine via
Shanghai. Le niveau d'alerte et de préoccupation a soudainement
monté d'un cran. Par réflexe la majorité des Shanghaiens portent maintenant un masque. Le séquençage génétique du virus révèle
de nombreuses concordances avec celui du SRAS issue de
chauves-souris. Alors qu'on devait célébrer l'année du rat
inexorablement celle-ci va devenir l'année du rat volant.
Les
22 et 23 janvier nous sommes au village réunis en famille pour
célébrer le nouvel an Chinois. Nulle inquiétude parmi les
convives, trop heureux de se retrouver ensemble, avec certains qui
sont de retour uniquement à cette occasion, une seule fois par an.
On évoque à peine l'histoire du coronavirus qui semble circonscrit
à la province du Hubei située à 800km de là. Mon fils se rend
chez le dentiste et lui signale qu'il arrive de Wuhan. Peu importe, le praticien, peu
soucieux des origines épidémiologiques de ses clients, serre les
dents et accepte de le soigner (ganté et masqué).
Mais subitement, le 25 janvier le confinement est décrété un peu partout en Chine y compris dans notre région. Les villages sont barricadés avec les habitants qui se relaient nuits et jours pour empêcher les intrus de pénétrer dans leur îlot sécurisé, et aussi pour éviter les sorties des villageois et le brassage de la population. Nous mêmes nous allons nous cloîtrer dans notre appartement situé dans le centre ville de Yangshuo.
La circulation sur les grands axes est réglementée et réduite au minimum. Presque tous les magasins ferment. Mais comme c'est assez habituel au moment du nouvel an chinois, cela se fait sans heurts et sans grands bouleversements. Les habitants réalisent néanmoins que la situation est sérieuse. Ils ont l'expérience du SRAS de 2003 avec la ville qui avait été confinée pendant plus d'un mois. De fait, Xiao Lin, mon épouse, est plus réactive que moi. Aussitôt que la nouvelle est tombée, elle achète des masques, des sacs de riz et un stock de patates douces. On va s'en sortir même si on ne peut plus sortir.
La Chine est cloisonnée.
Mais subitement, le 25 janvier le confinement est décrété un peu partout en Chine y compris dans notre région. Les villages sont barricadés avec les habitants qui se relaient nuits et jours pour empêcher les intrus de pénétrer dans leur îlot sécurisé, et aussi pour éviter les sorties des villageois et le brassage de la population. Nous mêmes nous allons nous cloîtrer dans notre appartement situé dans le centre ville de Yangshuo.
La circulation sur les grands axes est réglementée et réduite au minimum. Presque tous les magasins ferment. Mais comme c'est assez habituel au moment du nouvel an chinois, cela se fait sans heurts et sans grands bouleversements. Les habitants réalisent néanmoins que la situation est sérieuse. Ils ont l'expérience du SRAS de 2003 avec la ville qui avait été confinée pendant plus d'un mois. De fait, Xiao Lin, mon épouse, est plus réactive que moi. Aussitôt que la nouvelle est tombée, elle achète des masques, des sacs de riz et un stock de patates douces. On va s'en sortir même si on ne peut plus sortir.
Les
coursiers nous délivrent du mal
En fait ceux qui le souhaitent peuvent sortir de chez eux. A Yangshuo il n'y a pas d'autorisation de sortie à remplir ou de contrôles, et si les regroupements sont déconseillés, on peut toujours faire ses courses dans les quelques rares magasins restés ouverts, comme les pharmacies, les boulangeries et un supermarché qui continuent à être approvisionnés. Il n'y a pas de prises de température dans la ville sauf à l'entrée du supermarché. Les habitants de Wuhan qui étaient en vacances dans la région sont vite repérés et mis en quarantaine dans un hôtel spécialement dédié.
Je fais ma petite marche quotidienne dans la ville endormie. Les vrais joggeurs ne courent plus les rues. A la foule ils préfèrent les petites foulées dans les ruelles désertes. Ils prennent leur pied en solitaire, loin des clients qui psychotent et qui font leurs courses entre les étalages de produits d'extrême nécessité. Ceux qui ne veulent pas se faire marcher dessus, sautent le pas, saisissent leur souris ou leur smartphone et passent commande sur la toile. Le virus n'a pas phagocyté la fièvre acheteuse qui se fait maintenant en ligne. Pendant le confinement, c'est une armada de livreurs express avec leurs petits véhicules électriques qui assurent le ravitaillement de la population urbaine. Les coursiers nous délivrent du mal.
Les marchés, en revanche, sont fermés et il est impossible de trouver de la chauve-souris pour agrémenter notre soupe ! En fait, si la province du Guangxi concentre le plus grand nombre d'espèces de chauves-souris au monde (les innombrables grottes constituent un habitat naturel idéal), je n'ai jamais vu de chauves-souris en vente sur les marchés. On y trouve du chien, du rat, des tortues... mais la chauve-souris n'a jamais excité les papilles locales. De même le pangolin, pressenti comme étant l'hôte intermédiaire du COVID-19, est inconnu au bataillon, quasi introuvable et à un prix exorbitant. Le pauvre animal, pourtant sur la liste chinoise des espèces protégés, est braconné à l'étranger et réservé à des parvenus en quête de produits miracles à base d'écailles. Leur concoction leur servira à gonfler leur ego, tels des chasseurs de trophées. Et cette fois-ci, effectivement, ils en ont trop fait !
Cellule
familiale ouverte sur le monde
Au
début du confinement la présence de mes enfants, potentiellement
contagieux, a suscité un sentiment de crainte auprès des voisins,
du comité de quartier, et de la police locale. Avant que la panique ne gagne tout le monde nous les avons tenus informés sur
notre état de santé. En Chine le dépistage et le suivi des
personnes à risque est pris très au sérieux. Cela peut paraître
intrusif, mais les appels par téléphone et les quelques visites à
domicile nous ont apporté un présence humaine et un suivi qui nous
a plutôt rassuré. Entre solidarité et méfiance une méthode qui
sera ensuite complétée par des outils de traçages numériques.
Même le dentiste, peu fier d'avoir joué à la roulette, devait
recontacter ses clients potentiellement porteurs du virus. Il a donc
rappelé mon fils pour connaitre sont état de santé. Il fut vite
rassuré, nos enfants vont bien. Fin janvier le temps d'incubation
est terminé et ils ne nous ont pas contaminés. C'est sympa de leur
part !
A quatre dans notre appartement, nous avons plutôt bien supporté le confinement. Personnellement cela n'a pas changé mes habitudes puisque je pratiquais déjà le télétravail, sauf qu'après avoir géré les reports des circuits des voyageurs devenus sédentaires, les nouvelles demandes ont subitement disparues. Les voyages en Chine n'étaient plus à la mode. En l'absence de revenus il allait falloir être économe et attendre des jours meilleurs.
Cependant cette parenthèse m'a permis de souffler un peu, de prendre du temps pour enrichir le contenu de nos programmes. Avec ma femme et mes enfants tout s'est également très bien passé. A la fin des vacances du nouvel an chinois mes enfants ont repris leur cours à la maison via leur application mobile. Chacun a fini par trouver son rythme, et au moment des repas, on resserrait nos liens familiaux face à ce fléau commun qui progressait en accéléré autour de la planète. On partageait nos informations respectives, un panorama en instantané et « en continu » puisé dans les médias et réseaux sociaux étrangers et chinois. Un flot d'information souvent contradictoire, brodé sur l'inconnue, masquant notre désarrois face à cet ennemi invisible. A chaque étape de la pandémie, à chaque nouveau foyer, les habitants devenaient de victimes potentielles et devaient faire face au choc, dans un maelstrom d'humour, de polémiques, d'accusations conspiratrices, et d'un nouveau désordre mondial... Paradoxalement ce mal collectif, sans frontière, entraîne des réflexes de repli sur soi. La pandémie du 21ème siècle, on n'est pas sortie de l'auberge !
A quatre dans notre appartement, nous avons plutôt bien supporté le confinement. Personnellement cela n'a pas changé mes habitudes puisque je pratiquais déjà le télétravail, sauf qu'après avoir géré les reports des circuits des voyageurs devenus sédentaires, les nouvelles demandes ont subitement disparues. Les voyages en Chine n'étaient plus à la mode. En l'absence de revenus il allait falloir être économe et attendre des jours meilleurs.
Cependant cette parenthèse m'a permis de souffler un peu, de prendre du temps pour enrichir le contenu de nos programmes. Avec ma femme et mes enfants tout s'est également très bien passé. A la fin des vacances du nouvel an chinois mes enfants ont repris leur cours à la maison via leur application mobile. Chacun a fini par trouver son rythme, et au moment des repas, on resserrait nos liens familiaux face à ce fléau commun qui progressait en accéléré autour de la planète. On partageait nos informations respectives, un panorama en instantané et « en continu » puisé dans les médias et réseaux sociaux étrangers et chinois. Un flot d'information souvent contradictoire, brodé sur l'inconnue, masquant notre désarrois face à cet ennemi invisible. A chaque étape de la pandémie, à chaque nouveau foyer, les habitants devenaient de victimes potentielles et devaient faire face au choc, dans un maelstrom d'humour, de polémiques, d'accusations conspiratrices, et d'un nouveau désordre mondial... Paradoxalement ce mal collectif, sans frontière, entraîne des réflexes de repli sur soi. La pandémie du 21ème siècle, on n'est pas sortie de l'auberge !
Les
comptes, des faits
Fin
février, après 5 semaines de confinement, l'activité a repris
progressivement son cours. Comme
il n’y a pas eu de confinement et de déconfinement strict, le
retour de l'activité c'est étalé sur deux à trois semaines. Il
n'y a pas eu de date butoir de reprise annoncée. Les barricades
devant les villages ont été levées suivant le bon vouloir de
chaque responsable local qui avait reçu le feu vert. Peu à peu les magasins ont rouverts et
les ouvriers et employés ont repris le chemin du travail. Il n'y a
pas eu de grand rush dans les transports. Les déplacements ont été
dilués dans le temps. Certains travailleurs migrants dans la famille
de mon épouse ont même préférés rester en sécurité dans leur
village jusqu'au mois de mai plutôt que de retourner à l'usine dans
les grandes mégalopoles du sud, bondées et plus à risque.
Au final, dans notre région nous n'avons presque pas eu de malades. Dans le village de mon épouse sur les 200 habitants il n'y a eu aucun cas connu de Covid 19. Sur Yangshuo on évoque le chiffre de 5 malades (et aucun mort) sur 30000 habitants, et 5 décès sur les 50 millions d'habitants de la province du Guangxi. Les chiffres peuvent être sous estimés mais dès qu'il y a une personne contaminée cela se sait quasi instantanément par le bouche à oreille et les réseaux sociaux. Localement un foyer épidémique serait vite démasqué.
A l'université de Wuhan dans les différentes classes de mes enfants, il n'y a eu aucun malade (ils sont en contacts quotidiennement entre-eux via des groupes d'étude). On dénombre une centaine d'étudiants testés positifs à leur université (sur 55000) et officiellement aucun décès. Beaucoup d'étudiants ont profiter des vacances du nouvel an chinois pour retourner dans leur pays natal. Le premier cas en Inde était un étudiant de leur Université qui rentrait au pays.
Nous sommes également rassurés d'apprendre qu'autour de nous dans la famille et auprès de mes collègues français et chinois qui habitent un peu partout en Chine il n'y a aucun cas avéré de contamination. Ce constat n'a pas de valeur statistique, mais ces témoignages sur le terrain donnent un ordre de grandeur de l'épidémie hors de Wuhan qui s'est très faiblement propagée et développée.
D'ailleurs, plutôt que d'attendre le retour rapide des voyageurs, et pour joindre l'utile à l'agréable et rester pragmatique, plusieurs guides francophones avec qui je travaille ont profité de cette période pour repeupler la Chine. Cinq d'entre-elles sont tombées enceintes !
A ce jour, début mai, les touristes chinois sont de retour en nombre à Yangshuo et sur les sites touristiques. Le pays est encore fermé aux voyageurs étrangers mais nous espérons que nous autres citoyens du monde pourrons bientôt et à nouveau se rencontrer, frotter nos idées, tisser des liens d'amitié, embrasser la beauté du monde, et partager notre virus du voyage....
Au final, dans notre région nous n'avons presque pas eu de malades. Dans le village de mon épouse sur les 200 habitants il n'y a eu aucun cas connu de Covid 19. Sur Yangshuo on évoque le chiffre de 5 malades (et aucun mort) sur 30000 habitants, et 5 décès sur les 50 millions d'habitants de la province du Guangxi. Les chiffres peuvent être sous estimés mais dès qu'il y a une personne contaminée cela se sait quasi instantanément par le bouche à oreille et les réseaux sociaux. Localement un foyer épidémique serait vite démasqué.
La rue marchande avant l'arrivée du virus, et pendant sa visite |
A l'université de Wuhan dans les différentes classes de mes enfants, il n'y a eu aucun malade (ils sont en contacts quotidiennement entre-eux via des groupes d'étude). On dénombre une centaine d'étudiants testés positifs à leur université (sur 55000) et officiellement aucun décès. Beaucoup d'étudiants ont profiter des vacances du nouvel an chinois pour retourner dans leur pays natal. Le premier cas en Inde était un étudiant de leur Université qui rentrait au pays.
Nous sommes également rassurés d'apprendre qu'autour de nous dans la famille et auprès de mes collègues français et chinois qui habitent un peu partout en Chine il n'y a aucun cas avéré de contamination. Ce constat n'a pas de valeur statistique, mais ces témoignages sur le terrain donnent un ordre de grandeur de l'épidémie hors de Wuhan qui s'est très faiblement propagée et développée.
D'ailleurs, plutôt que d'attendre le retour rapide des voyageurs, et pour joindre l'utile à l'agréable et rester pragmatique, plusieurs guides francophones avec qui je travaille ont profité de cette période pour repeupler la Chine. Cinq d'entre-elles sont tombées enceintes !
A ce jour, début mai, les touristes chinois sont de retour en nombre à Yangshuo et sur les sites touristiques. Le pays est encore fermé aux voyageurs étrangers mais nous espérons que nous autres citoyens du monde pourrons bientôt et à nouveau se rencontrer, frotter nos idées, tisser des liens d'amitié, embrasser la beauté du monde, et partager notre virus du voyage....
Bienvenue
en Chine et à Yangshuo.
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